Le pass sanitaire et les restrictions qu’il entraine dans les bibliothèques sont sources de très vifs débats parmi les professionnels du secteur, à l’heure où le monde de la culture traverse des heures difficiles.

C’est une question qui est souvent revenue, à l’Assemblée nationale, lors des discussions tenues autour de la loi relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique du 21 décembre 2021 : comment expliquer le paradoxe entre un texte affirmant la gratuité d’accès aux bibliothèques, quand une partie d’entre elles sont limitées par les mesures sanitaires ? Un communiqué porté par l’Association des Bibliothécaires de France, publié le 26 juillet dernier, déclarait ainsi qu’avec l’entrée en vigueur du pass sanitaire, « la culture est une nouvelle fois particulièrement mise à l’épreuve ». Après six mois d’usage, quels enseignements peut-on tirer du pass sanitaire en bibliothèque, alors que la transition vers le pass vaccinal est inévitable ?

L’ABF mettait déjà en garde contre l’éloignement à long terme de certains publics, la détérioration des relations de confiances établies avec eux, dénonçant les contradictions entre les restrictions liées au pass sanitaire et les valeurs portées par les bibliothécaires : l’accès libre et gratuit sans discrimination à l’information, dans des structures aux cadres réglementaires uniformisés. Au travers d’un sondage dont les résultats ont été publiés le 18 octobre 2021, nous en savons plus sur le ressenti des bibliothécaires concernant les effets du pass sanitaire. Un premier constat est fait au sujet du manque de moyen des bibliothécaires face aux mesures, le contrôle du pass sanitaire s’était ajouté aux autres tâches conventionnelles du service au public, sans augmentation des ressources humaines en conséquence. 65% des répondants estiment donc avoir été mal accompagnés par leur hiérarchie, alors que 15% des bibliothèques n’étaient même pas équipées de matériel suffisant à la mise en place des contrôles. Les effets de la pandémie sont également et logiquement ressentis : 75% des bibliothécaires répondants ont estimé une baisse de fréquentation notable par rapport à septembre 2020, chiffre qui s’élève à 90% si on le rapporte à septembre 2019.

Pour une profession jugée assez essentielle pour être ouverte dès le deuxième confinement de l’hiver 2020, ce qui témoignait de leur capacité à respecter les normes sanitaires, il ne semble pas logique de l’assujettir à des restrictions qui ne concernent pas les commerces généralistes ou même les librairies. Toutefois, tout le monde n’est pas de cet avis, comme l’indique un court billet de Patrick Bazin, conservateur à la BPI, le 9 août 2021. S’étonnant de la position de l’ABF, ce dernier oppose les choix personnels au bien commun et à la solidarité, argument souvent mis en avant par le gouvernement dans la défense de la réglementation sanitaire : « Qu’on le veuille ou non, continuer à vivre ensemble implique qu’ensemble nous combattions le virus. […] D’autre solutions que le passe sanitaire seront peut-être un jour trouvées (un traitement par exemple) mais, en attendant, celle-ci fait l’objet d’un consensus des représentants élus de notre démocratie ».

Au sein du secteur du livre, le consensus est moins évident. Des librairies ont toutefois apporté leur soutien aux bibliothèques dans un communiqué publié fin novembre 2021, doublé d’une pétition, appelant à défendre le libre accès aux bibliothèques. Rappelant la mobilisation du monde du livre pour affirmer le caractère essentiel des librairies lors du premier confinement, le communiqué évoque notamment le partenariat essentiel qui unit libraires et bibliothécaires dans la diffusion de l’information aux publics : « Parce qu’ils ont eu accès aux bibliothèques, ils franchiront plus tard la porte des librairies ». Plus encore, les signataires s’inquiètent des paradoxes qu’apporte l’application du pass sanitaire en bibliothèque : « Nous ne pensions pas un jour que les bibliothèques, services publics de proximité s’il en est, seraient un jour considérées comme moins essentielles que nous ». Selon eux, les prétentions du gouvernement à faire de la lecture une « grande cause nationale » ne sont pas réalistes sans garantir un accès libre et universel aux édifices de lectures publiques.

Au-delà du débat, on peut se demander comment les bibliothécaires ont répondu à l’arrivée de ce pass sanitaire. Un exemple notable est celui de la ville de Grenoble, dont les bibliothèques ont été dotées de bornes d’auto-contrôle des pass sanitaires, répondant aux nouvelles obligations liées au service public. Une diode verte ou rouge indique la validité du pass après la présentation du QR Code. Toutefois, ces solutions ne sont que temporaires, car le pass vaccinal éloigne à nouveau les non-vaccinés des espaces soumis aux obligations sanitaires et que les tests PCR et antigéniques ne garantissent plus l’accès aux bibliothèques, à l’exception des néo-vaccinés. Une nouvelle fois, les commerces généraux ne sont pas concernés, bien que plus fréquentés, et la possibilité d’une mise en place des contrôles d’identités s’est inséré dans le débat, perpétuant les tensions.

M.Q., AS BIB 2021/2022

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